Un sentiment plus destructeur que la haine

©Keaton eyes 🎨

Nan Hogan avait une peur pathologique des sorciers.

Le pasteur de son église avait annoncé le dimanche précédent que ces êtres maléfiques avaient pour habitude d’élire domicile dans le corps de certains animaux. Parmi ceux-ci, disait le pasteur, le préféré des sorciers était le chat, cet animal de compagnie qui semblait tellement inoffensif.

Aussi, cela ne plût-il pas à Nan Hogan quand son beau frère amena à la maison un petit chat gris aux yeux énigmatiquement étincelants. Cela lui plût encore moins quand ledit beau frère annonça qu’il l’offrait à Célia, l’unique enfant de Nan Hogan.

Et cela ne plût définitivement plus à Nan Hogan quand quelques jours plus tard, en rentrant chez elle, elle trouva sa basse-cour décimée et toute la volaille mourante, frappée d’un mal mystérieux.

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Célia, petite fillette de treize ans, s’était entretemps prise d’affection pour le chat qu’elle avait nommé Michou en souvenir de son deuxième amour. Son deuxième car, son premier amour était son père, et celui-ci l’avait quittée prématurément alors qu’elle découvrait seulement le monde.

La disparition de son père la chagrina au plus haut point; d’autant plus que sa mère sembla dès lors plus occupée à avoir peur de tout ce qu’il lui arrivait de voir bouger que de veiller à l’ épanouissement mental de sa fille.

Et pendant six ans, ce furent des ‘ Célia je ne veux pas te voir dehors, tu ne dois pas sortir de la maison ; Célia tu ne dois pas t’amuser tu vas être sale, tu vas tomber malade; Célia vient plutôt m’aider à faire la cuisine et laisse tomber ces livres, ce n’est pas ça qui fera de toi une femme; Célia j’espère que personne ne t’a touché ?! Personne?! Pas de petits jeux en cachette inh Célia? Éteint moi cette télé Célia, arrête de regarder des conneries’.

Elle voulut bien croire que sa mère faisait tout ça pour son bien. Mais Célia ne supportait pas cette vie de réclusion à laquelle on la contraignait. Elle passait son temps à rêver et à rêvasser de choses qui, pensait-elle , risquaient de ne jamais voir le jour. Ses journées étaient bien monotones…

*

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Puis un jour elle rencontra Michel.

Michel c’était le petit neveux des Pantivoh, les voisins. Mais Célia ne le savait pas. L’eût-elle su d’ailleurs que cela ne changerait en rien ce qui devait arriver.

Personne ne semblait s’intéresser à Célia, pas même ses copines qui, à force des récriminations de Nan Hogan, avaient fini par croire que l’amitié de la petite leur était préjudiciable. Aussi Célia fût- elle surprise de découvrir quelques jours après le début des classes que le petit nouveau à l’autre bout de la salle la regardait avec insistance.

Elle se sentit d’abord gênée, confuse, et pendant qu’une foule d’hypothèses lui traversait l’esprit, elle prit le parti de feindre de n’avoir pas remarqué celui qui à partir de ce jour,avait pris l’outrecuidante habitude de l’observer à la dérobée.

Bien que les avertissements répétés de Nan Hogan à propos des ‘petits jeux gâtés’ l’amenèrent à se culpabiliser, elle se rassura en se disant que ‘ce Michel’ ,comme elle avait entretemps appris qu’il s’appelait, finirait bien par se lasser de son petit manège.

Mais la chose continua jusqu’au jour où, pendant la récréation de dix heures, il aborda une Célia mal à l’aise ne sachant à quel saint se vouer.

Ils s’entendirent cependant très vite et, le soir même, ils rentraient ensemble, marchant côte à côte dans le silence du soleil couchant. Ce n’est qu’alors que Célia découvrit l’incroyable coïncidence ( ou pas) à savoir que ce garçon, était son voisin, un Pantivoh.

Et pour la fillette qui savait combien sa mère détestait les Pantivoh et combien la réciproque était vraie, le drame qui se profilait à l’horizon n’avait rien de comparable, à part peut-être, la perte de son père.

Et de fait, ce qui devait arriver, un jour, arriva. Les adultes ne virent pas de bon oeil l’amitié entre les deux enfants qui s’entendaient ‘trop bien’. Leur imagination fertile et les quolibets aigre-doux échangés entre deux prises de bec eurent tôt fait de les mener au point de non retour.

Et c’est ainsi qu’un matin, la place de l’élève Michel Pantivoh demeura vide. On ne le vit plus dans le quartier. On raconta qu’à cause de son amitié pour la fille de Nan Hogan, son oncle l’avait renvoyé vers ses parents, histoire d’éviter un énième incident diplomatique.

Pour la deuxième fois de sa vie, Célia voyait l’être en lequel elle avait mis tout son amour la quitter sans crier gare.

*

*

Quand Nan Hogan eût enterré son dernier poulet, l’idée que le coupable de ce carnage ait pu être autre que le chat gris amené par son beau-frère ne l’effleura pas une seule seconde.

Pour elle , la culpabilité de l’animal ne faisait aucun doute et, seule l’idée qu’un sorcier se trouvait sûrement à l’intérieur de l’animal l’empêcha sur le moment de lui bondir dessus pour en faire chair à pâté.

Mais quoi qu’on eût pu dire de Nan Hogan, elle était jusqu’à un certain degré suffisamment raisonnable pour que l’idée d’un petit chaton, même possesseur de pouvoirs surnaturels, trucidant une vingtaine de poulet en moins de deux heures, lui parut ne serait-ce qu’un peu saugrenue pour qu’elle se mette en tête de demander l’opinion des voisins.

Mais peut-être aussi prit-elle cette décision pour la simple raison que cela constituait un beau sujet de discussion pour alimenter les commérages auxquelles elle s’adonnait quotidiennement pour échapper à la monotomie de ses journées.

Elle se rendit en premier lieu chez Coconon la vendeuse de bouillie de maïs du quartier commère en chef, appréciée et reconnue de tous. Celle-ci confirma les craintes de Nan Hogan et ajouta qu’au cas où cette dernière eût voulu se débarrasser de son encombrant chat-sorcier, elle se ferait un plaisir d’en faire un fricassé au ragoût d’igname.

La mégère ponctua sa prise décision d’un pourlechement de lèvres au cas ou sa docte visiteuse n’eût pas compris ce qu’elle voulait dire, chose qu’on aurait pu croire en voyant le degré de l’arc que dessinaient ses sourcils.

Nan Togbe visita ensuite coup sur coup quatre autres commères avec lesquelles elle tint une série de conciliabules qui durèrent toute la journée et qui n’eurent d’autre but que de confirmer les craintes de notre visiteuse.

Pour finir, Nan Hogan alla rendre visite à son pasteur. L’ecclésiaste la persuada, son immense et éblouissant sourire à l’appui, que le Seigneur lui avait annoncé à l’avance la visite de la fidèle en songe. Il la rassura en l’informant que vu son implication dans l’église aucun sorcier n’aurait d’emprise sur elle.

Soulagée, Nan Hogan tenta de glisser un billet de 2000 francs CFA dans les poches du pasteur qui refusa mollement avec toute la dignité que lui conférait son statut de berger de l’église avant d’accepter face aux protestations de la fidèle disciple qui s’esquiva poliment une fois le cadeau accepté.

*

*

Rentrée à la maison, Nan Hogan regarda le chaton du coin de l’œil et jura de l’occire si elle le trouvait sur son chemin malgré les protestations de sa fille qui ne pensait pas que ‘Michou’ ait pu décimer la population ailée.

Craignant la colère de sa mère, elle jugea plus sage de cacher le chaton dans un réduit au fond du magasin pour l’ôter à la vue de Nan Hogan et lui faire oublier funeste projet. Célia tenait à son chat comme à la prunelle de ses yeux.

*

*

Pendant deux semaines tout se passa bien. Célia nourrissait son petit amour en cachette loin des yeux de sa mère. Elle devrait manœuvrer intelligemment pour que celle-ci ne pensa plus au chaton.

Le plus difficile pour elle était de se soustraire à l’attention de sa mère pour aller tenir compagnie à Michou qui, pensait-elle, devait se sentir bien seul.

*

*

Il arriva un samedi où pendant toute la journée, Célia ne pût aller voir son chaton. La journée lui sembla longue et monotone. Sa mère ne l’avait pas lâchée d’une semelle à cause des travaux domestiques à faire.

Enfin, à dix-huit heures, elle pût se libérer. Elle accourut dans le sombre réduit au fond du magasin avec les restes de son repas. Michou manga avec appetit les restes de ‘macaroni’ et du poisson qui accompagnait le repas.

Une fois repu, il se désaltéra et sans doute pour montrer sa gratitude se mit à bouger dans tous les sens sous le regard attendri de Célia.

La petite l’observa un temps faire des cabrioles et bondir sur des souris imaginaires. Un sourire angélique vint se dessiner sur son visage d’adolescente. Elle l’appela par son nom.

– Michou

Le chat s’arrêta au milieu d’ un énième élan et se tourna vers sa petite maîtresse. Il se précipita à sa rencontre et émit un ronronnement de satisfaction en se frottant contre ses jambes.

Le sourire de la petite s’accentua. Elle se dit que Michou était probablement la seule personne au monde autant content de la voir. Elle abaissa sa main et caressa le chat dans un élan de tendresse.

Le chat ronronna de nouveau et vint se mit à mordiller les doigts de Célia lui arrachant de petits couinements qui ne tarderaient pas à parvenir à Nan Hogan.

Intriguée, la mégère se dirigea silencieusement vers le réduit se demandant ce qui diantre pouvait bien arracher à sa fille ce qui ressemblait à s’y méprendre à des cris de chienne en chaleur.

Toute à son tendre échange amoureux avec son chat, la petite avait oublié le monde autour d’elle et avait maintenant pris la grosse boule de poils dans ses bras. Elle caressa doucement l’animal et s’était mise à frotter son nez contre le museau humide du chat quand sa mère débarqua en trombe.

Le spectacle qui s’offrait aux yeux de Nan Hogan la laissa bouche bée. Elle était choquée, abasourdi, déboussolée. Sous ses yeux hagards, sa fille sous l’emprise du chat-sorcier embrassait le vil animal. Elle émit un sourd cri d’horreur qui mourut dans sa gorge.

Le sourire de Célia qui venait juste de remarquer la présence de sa mère mourut sur ses lèvres et vira au jaune. Elle laissa prestement tomber le chat derrière ses jambes et recula instinctivement.

L’animal retomba lourdement et, sans doute mû par son instinct, disparu dans un quelconque coin loin des yeux de la mégère.

Dans un accès de fureur, celle-ci bondit sur sa fille et ce qui suivit ne mérite certainement pas d’être conté.

*

*

Sur le chemin qui la menait au domicile de Coconon, Célia pleurait silencieusement. Dans le sac qu’elle portait, Michou, inquiet se dandinait fiévreusement. Célia essuya ses larmes du revers de sa main. Les paroles de sa mère lui tournaient dans la tête.

Tu embrasses un chat-sorcier!! Serais-tu devenue folle?!! Je ne veux pas de sorcellerie dans ma maison! Écoute moi très bien, remballe ce chat dans un sac et amène le à Coconon . Trop c’est trop! Ce chat ne vivra pas une seule minute de plus chez moi!’

Pendant qu’elle ressassait ces sombres pensées, elle se rendit compte qu’elle était arrivée chez Coconon. La ménagère l’accueillie sèchement. Elle ne sembla pas avoir remarqué le trouble de l’enfant.

En découvrant le contenu du sac en osier que portait la fille de Nan Hogan, Coconon afficha un sourire ravi puis attrapa l’animal par le cou en se pourléchant les lèvres avant de congédier Célia d’un mouvement de la main.

*

*

Célia descendit lentement la terrasse à la devanture de la maison de Coconon. Ses mains tremblaient. Son corps tout entier tremblait d’une impuissante rage infantile.

Les yeux larmoyants, hoquetant sous le coup de la colère, elle réalisa que c’était son amour pour le chaton qui l’avait perdu.

Comme elle franchissait la dernière marcha de la terrasse, le cri plaintif du chaton agonisant lui parvint. Elle manqua la marche et tomba sur le dos.

REMS.

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