Elle débarqua dans notre heureux petit quartier un certain samedi du mois d’août, comme amenée par le froid de L’Harmattan; courbée me dit-on , sous un paquet de bagages empilés les uns sur les autres. Personne ne savait ce qu’elle faisait là ni ce qu’elle voulait. Du reste, le commun des mortels s’en fichait éperdument, dans ce petit quartier où les nouvelles vont tellement vites qu’elles venaient pratiquement devant votre porte avant que vous n’ayiiez eu le temps de les demander.
À part bien sûr quelques mégères dont la seule occupation tout le long de la journée consistait à supputer sur ce qui se tramait sous les chaumières silencieuses du quartier, la seule chose qu’on se demanda fut où elle allait loger. Les deux derniers étrangers venus au quartier avaient insisté pour loger dans la maison maudite car, c’était disaient-ils pour cette seule attraction qu’ils étaient venus.
C’était une petite chaumière vieillissante qui menaçait de tomber au moindre coup de vent. Les planches qui y tenaient encore debout grinçaient en tout temps comme si des âmes damnées qui les habitaient , lançaient continuellement des hululements plaintifs. On la disait maudite pour une raison connue des adultes seuls et, les plus jeunes qui en savaient quelques chose évitaient soigneusement d’en parler sous le poids d’une sourde terreur incompréhensible pour ceux qui n’en savaient rien.
Cette année là L’Harmattan fût plus froid, sec et chaud que jamais. À l’école, le temps se faisait de plus en plus long à mesure que les jours coulaient. Malheur à celui qui en classe se laissait prendre à la tentation de se laisser l’esprit vagabonder dehors, de s’absorber dans la contemplation des oiseaux ou de la nature morte. La chicotte pédagogique en ces temps là laissait forcément des traces indélébiles.
Et les fins de journée joyeuses qui d’habitude se terminaient par des courses poursuites effrénées et des cris de joie stridents se transformaient en une triste procession de soupirs plaintifs où les voix étouffaient derrière les lèvres hermétiquement closes.
L’arrivée de L’étrangère raviva les flammes qui consumaient doucement sous le froid de L’Harmattan. Celui-ci disparu comme par enchantement au lendemain de son arrivée. On parla enfin. On parla de L’Étrangère qui s’était installée chez le chef du quartier. On parla de son joli minois et de son sourire enchanteresse. On lui sourit de loin et tout de suite après on parla de tout ce qu’on savait d’elle avec animation.
Au marché, le brouhaha semblait décroître dès elle apparaissait. On l’invita, sous divers prétextes, à manger les soirs où le temps s’étirait long comme une épée. Ce à quoi L’Étrangère se prêtait avec beaucoup de grâce.
* * * *
Tout se gâta quand on apprit du jour au lendemain qu’elle s’était installée dans la maison maudite. Le premier jour les gens la regardèrent de travers. Le second jour on l’évita. Le troisième jour on la montra du doigt. Le quatrième jour on jura entre les dents sur son passage. Si bien que ce fût sans surprise que deux semaines plus tard, on vit débarquer et pénétrer en rang de bataille, une horde de femmes, pagnes solidement noués sous la hanche, dans la demeure de « Tofinon » mégère et colporteuse de ragots émérite du quartier.
Ce soir là, les femmes du quartier tinrent un long conciliabule dont le but était purement et simplement de statuer sur la santé mentale de la nouvelle arrivée. On décida qu’elle était parfaitement saine d’esprit puisqu’elle était quand même arrivée à acheter à moitié prix un kilo de riz à la boutiquière du quartier, un exploit quand on sait à quel point « maman Kaka » comme on l’appelait était avare.
De l’avis général, il fallait avoir toutes ses facultés mentales pour réaliser un tel exploit. Agitant son éventail en feuilles de bambous sèches, Nan Togbe, la plus vieille matrone du quartier énonça son verdict après avoir fait durer quelques secondes le suspense, le temps de mâchouiller une énième fois son cure-dent découvrant de gigantesque dents semblables aux solides houes que son défunt mari avait l’habitude de confectionner : Pour elle il était clair que la nouvelle venue était damnée. Verdict accueilli par un bruyant concert de hochements de têtes.
De leur côté, les hommes se contentèrent d’échanger des regards entendus dès que L’Étrangère passait. On feignit d’être occupé pour ne pas croiser son regard, et, quand il arrivait, chose rare pour un homme dans notre gentil petit quartier, de se retrouver désœuvré, lorsque L’Étrangère passait, on feignait de scruter le ciel à la recherche d’un OVNI imaginaire. Le pasteur du quartier solidement flanqué de sa femme semblait plus que jamais plongé dans ses prières. Son étincelant sourire virait au jaune dès que « L’Étrangère » apparaissait au loin et se tordait en une grimace qui mettrait à coup sûr le diable en fuite.
Seul le « Chef du quartier himself » semblait montrer un certain intérêt au train de vie de l’infortunée étrangère. Le bruit couru bientôt qu’il grimpait chaque matin, sur les épaules de son fils aîné pour épier les faits et gestes de L’Étrangère dans la maison maudite qui jouxtait la sienne ; Gymnastique qui n’avait manifestement pas échappée aux yeux expérimentés de « Tofinon ».
On raconta bientôt qu’un jour il était si pris dans son manège qu’il ne vit pas sa voisine venir de l’autre côté de la maison le surprendre. Le chef du quartier dans toute sa dignité avait alors feint d’être entrain de punir son fils aîné pour une quelconque bêtise, perché sur les épaules de celui-ci, lui intimant l’ordre de le porter ça et là, tantôt d’un côté ou l’autre du mur. Puis s’assurant d’un coup d’oeil que je message était passé, il avait alors paru remarquer sa visiteuse et avait durement intimé à son fils l’ordre de le poser au sol; Chose que Bio, le fils aîné du chef de quartier, exécuta sans grâce, sans doute énervé par les grimaces de son respectable père; ce qui eu pour résultat de faire tomber le vénérable chef de quartier sur le sol, la tête la première.
Faisons preuve d’humanité et tirons un voile sur la suite de cette mésaventure qui défraya la chronique des ragots pendant trois jours entiers.
Puis un jour, la mystérieuse étrangère disparut. Sa disparition semblait coïncider avec le retour de L’Harmattan. Sous les chaumières, dans les rues, à l’école et au marché, on parlait désormais peu. Personne ne sembla avoir remarqué sa disparition et personne ne savait pourquoi elle était partie. Du moins tout le monde s’en fichait. Surtout dans ce petit quartier où…
Rems
©Image tirée du film « the spy who came from the cold »