—– Notes—-
Cet article est le premier d’une série de quatre s’inscrivant dans le cadre d’un projet de recherche dont le but est d’imaginer un système d’innovation ascendant porté par les personnes (citoyens, habitants et usagers) quel que soit leur profil démographique ou situation géographique.
Un tel système serait utile s’il pouvait être répliqué au niveau des communautés marginalisées (notamment en Afrique) dans lesquels l’absence de système national d’innovation (SNI) mature limite les possibilités de développement et rend difficile l’accès au services essentiels.
Systèmes d’innovation : Quels enjeux ?
Le plus grand défi de notre époque est de réduire les inégalités dans le monde pour créer des sociétés où chaque être humain peut avoir accès aux ressources et opportunités pour exprimer ce qui le rend unique.
Mais comment arriver à cet idéal ? Les récentes évolutions en sciences économiques donnent une place de choix à l’innovation parmi les principaux facteurs de réduction des inégalités.
En effet, l’innovation consiste à introduire de nouvelles versions d’un produit/service sur un marché existant ou un produit/service existant sur un nouveau marché.
Elle peut donc être utilisée comme processus pour faciliter l’accès aux produits ou services auxquels les populations lésées n’avaient pas accès jusque-là à cause de leur niveau de vie et stimuler la naissance d’industries fortes.
Cet exploit peut être réalisé en imaginant de nouveaux modèles économiques adaptés aux réalités des consommateurs, et intégrant l’utilisation d’outils d’accès au digital. C’est exactement ce qu’a fait en Afrique Safaricom, une filiale Kényane de Vodafone, faisant passer grâce à M-pesa, le taux de bancarisation local à plus de 83%.
Néanmoins, des exploits de ce genre sont extrêmement rares dans les communautés marginalisées. En effet, très peu d’innovation naissent dans ces communautés et la grande majorité de celles qui naissent sont vouées à l’échec.
En Afrique notamment, une étude de l’Organisation pour la Coopération et le Développement économiques (OCDE) indique que seulement 2 % des innovations sont couronnées de succès.
Plusieurs hypothèses peuvent être posées pour expliquer ces dysfonctionnements. Néanmoins, elles peuvent se résumer à une seule explication : l’absence de systèmes d’innovation territoriaux efficaces qui permettent de stimuler la naissance d’innovation et d’assurer leurs succès.
Pour réduire les inégalités dans les communautés marginalisées, il est donc essentiel de mettre en place des systèmes d’innovation de qualité. Cela peut se traduire par des investissements dans la recherche et le développement, une infrastructure adéquate pour soutenir les innovateurs, des politiques favorables à l’innovation et un environnement économique stable et sécurisé.
| Demand | Why a demand | Why unmet | Proof of need | Goal |
| Innovations dans les communautés marginalisées | -La digitalisation rapide a renforcé les inégalités -L’innovation permet de réduire les inégalités en augmentant l’accessibilité aux produits et services essentiels et en favorisant la naissance d’industries fortes | -Manque de système d’innovation efficace | -Très peu d’innovation naissent dans les communautés marginalisées -Un pourcentage extrêmement faible d’innovation connaissent du succès | -Développer un système d’innovation efficace qui stimule l’innovation de masse et favorise le succès des innovations locales. |
Qu’est-ce qu’un système d’innovation (SI) ?
1- Définition
Un système d’innovation est un ensemble d’acteurs, d’institutions, de règles et de normes qui favorisent et soutiennent la production, la diffusion et l’utilisation des connaissances et des technologies pour introduire des innovations dans l’économie.
Un système d’innovation peut inclure des entreprises, des universités, des centres de recherche, des organisations gouvernementales et non gouvernementales, des financiers, des consommateurs, des travailleurs et d’autres acteurs clés.
Le concept de système d’innovation est basé sur l’idée que l’innovation ne se produit pas de manière isolée ou individuelle, mais plutôt au sein d’un environnement complexe d’acteurs et d’institutions interconnectés. Ces acteurs et institutions interagissent pour produire, diffuser et utiliser les connaissances et les technologies qui sont nécessaires à l’innovation.
Le système d’innovation peut être local, régional, national ou même international. Par exemple, une région ou un pays peut avoir un système d’innovation bien développé qui encourage et soutient l’innovation dans différents secteurs (cas des États-Unis), tandis qu’un autre peut avoir des obstacles à l’innovation en raison de facteurs économiques, sociaux ou politiques (cas de plusieurs communautés marginalisées).
En résumé, un système d’innovation est un écosystème complexe de différents acteurs et institutions qui interagissent pour promouvoir et soutenir l’innovation et la croissance économique.
2- Origine
Le concept de système d’innovation est né dans les années 1980 grâce aux travaux du chercheur danois Bengt-Ake Lundvall, qui a développé une approche économique basée sur l’étude des relations entre les entreprises, les universités et les institutions publiques dans le domaine de l’innovation.
Lundvall a proposé l’idée que l’innovation ne pouvait pas être comprise en étudiant seulement les entreprises individuelles, mais qu’elle devait être comprise comme un processus collectif impliquant plusieurs acteurs dans un système d’innovation plus large.
Le système d’innovation est donc une approche qui considère l’innovation comme un processus dynamique et complexe impliquant des interactions entre les entreprises, les universités, les institutions publiques, les organisations de la société civile et les individus, et qui a pour but de favoriser l’émergence et la diffusion de nouvelles idées, technologies et pratiques dans la société.
Depuis les travaux de Lundvall, le concept de système d’innovation a été largement utilisé dans les recherches sur l’innovation et la politique d’innovation, ainsi que dans la pratique des politiques publiques visant à stimuler l’innovation et le développement économique
3- Exemple connus de systèmes d’innovation
Voici quelques exemples de systèmes d’innovation très connus :
La Silicon Valley en Californie, États-Unis
La région de la baie de San Francisco est considérée comme l’un des systèmes d’innovation les plus dynamiques au monde, avec un écosystème dense et diversifié d’entreprises, d’universités, d’investisseurs, de startups et d’organisations de soutien à l’innovation.
On y trouve des entreprises comme :
Google – une société de technologie spécialisée dans les moteurs de recherche, les publicités en ligne et les services de cloud computing.
Apple – une entreprise de technologie qui fabrique des produits électroniques grand public tels que les iPhone, les iPad et les ordinateurs Mac.
Facebook – un réseau social en ligne qui permet aux utilisateurs de communiquer entre eux et de partager des informations.
Amazon – une entreprise de commerce électronique qui vend des produits en ligne, propose des services de streaming et de cloud computing.
Tesla – une entreprise de véhicules électriques haut de gamme, de stockage d’énergie et de production de panneaux solaires.
Le système d’innovation japonais
le Japon est également considéré comme un leader en matière d’innovation, avec un système d’innovation bien développé qui implique une collaboration étroite entre les entreprises, les universités et les instituts de recherche, ainsi que des politiques publiques ciblées pour encourager l’innovation.
Le système d’innovation danois
le Danemark est souvent considéré comme un leader en matière d’innovation sociale, avec un système d’innovation bien développé qui implique une forte collaboration entre les entreprises, les universités et les organisations de la société civile, ainsi que des politiques publiques ciblées pour encourager l’innovation sociale.
4- Concept de systémique d’innovation
Une étude comparative des systèmes d’innovation de différents territoires montre que chaque système d’innovation est unique et reflète les caractéristiques économiques, sociales et politiques du pays ou de la région dans lequel il opère.
Ainsi, chaque pays dispose d’un système d’innovation unique, avec sa propre dynamique et ses propres caractéristiques : on parle de systémique d’innovation.
Le terme «systémique d’innovation» est un terme utilisé pour décrire les différents éléments qui composent un système d’innovation et les interactions entre ces éléments.
Les éléments peuvent inclure les institutions de recherche et d’enseignement supérieur, les entreprises, les organismes gouvernementaux, les investisseurs, les organisations de la société civile et les individus.
De même, la façon dont ces différents éléments interagissent peut varier considérablement selon le pays et peut avoir un impact significatif sur la manière dont l’innovation est encouragée et soutenue.
Par exemple, le système d’innovation japonais est caractérisé par une forte collaboration entre les entreprises, les universités et le gouvernement, tandis que le système d’innovation américain est davantage axé sur les entreprises et les investisseurs privés.
Enfin, le système d’innovation danois est connu pour son soutien gouvernemental à la recherche et à l’innovation, ainsi que pour sa culture entrepreneuriale et sa capacité à collaborer avec des partenaires internationaux.
Comprendre la systémique d’innovation d’un pays est donc important pour comprendre comment fonctionne ses systèmes d’innovation et comment il peuvent être organisés et améliorés pour encourager davantage l’innovation.
Ainsi, pour développer un système d’innovation efficace dans une communauté, il est important de comprendre sa systémique d’innovation unique et les interactions entre ses différents éléments.
Cela permet de comprendre les forces et les faiblesses du système et d’identifier les domaines où des améliorations peuvent être apportées pour encourager l’innovation.
En comprenant la dynamique et les caractéristiques du système d’innovation d’un pays, il est possible de mettre en place des politiques et des programmes qui soutiennent efficacement l’innovation et la croissance économique.
Les formes de systèmes d’innovation
On distingue plusieurs formes de systèmes d’innovation (SI) , au niveau communautaire, local, régional, territorial voire international.
| Niveau | International | Territorial | Régional | Local/communautaire |
| Forme de SI | Systèmes nationaux d’innovation | -Districts industriels-Clusters technologiques-Pôles de compétitivité | -Écosystèmes d’innovation-Living labs | -Tech hubs-Fab labs-Réseaux d’innovation-Systèmes d’innovation informels |
les formes de SI au niveau supérieur peuvent contenir des formes de SI de niveau inférieur.
Cette classification est basée sur l’idée que les formes de systèmes d’innovation ayant un impact macro peuvent avoir une influence plus large sur l’économie et la société, tandis que les formes ayant un impact plus micro sont plus ciblées et peuvent avoir un effet plus direct sur les utilisateurs finaux.
En effet, les systèmes d’innovation peuvent être classés selon différents critères tels que leur impact territorial, leur orientation institutionnelle, leur dimension communautaire, leur degré de complexité, leur mode de fonctionnement etc.,
Les systèmes d’innovation dans les communautés marginalisées
Le système d’innovation dans les communautés marginalisées est encore relativement faible en comparaison avec d’autres régions du monde, même s’il existe des initiatives prometteuses.
Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les faibles niveaux d’investissement en recherche et développement, la faible capacité d’innovation des entreprises, les problèmes de gouvernance et de réglementation, les conflits et les troubles politiques, et les défis liés à l’éducation et à la formation.
Cependant, quelques formes de systèmes d’innovation sont en train de se développer, tels que :
Les pôles de compétitivité
Certains pays ont commencé à développer des pôles de compétitivité pour stimuler l’innovation dans des secteurs spécifiques, tels que les technologies de l’information et de la communication, l’agriculture, l’énergie et les matériaux de construction. Ces pôles peuvent inclure des centres de recherche, des incubateurs d’entreprises, des clusters d’entreprises et des programmes de formation.
Les hubs technologiques
De nombreuses initiatives privées ont également mis en place des hubs technologiques pour favoriser l’innovation dans le secteur des technologies de l’information et de la communication.
Ces hubs offrent souvent des espaces de travail, des services de mentorat, des programmes de formation et des événements de réseautage pour les entrepreneurs et les innovateurs.
Les systèmes d’innovation informels
En raison de la faiblesse des systèmes formels d’innovation, il existe également des systèmes d’innovation informels en Afrique. Ces systèmes impliquent souvent la collaboration entre les entreprises, les universités et les gouvernements, ainsi que la participation des communautés locales et des organisations de la société civile.
Le cas des hubs technologiques en Afrique
Les hubs technologiques en Afrique ont connu une croissance rapide ces dernières années. Le nombre de hubs a augmenté de manière exponentielle, passant de seulement quelques-uns il y a dix ans à plus de 600 aujourd’hui dans toute l’Afrique.
Plusieurs facteurs ont contribué à cette croissance, notamment la pénétration d’Internet et des téléphones mobiles en Afrique, qui ont ouvert de nouvelles possibilités pour l’innovation technologique.
Les réformes politiques dans certains pays africains ont également joué un rôle important en encourageant l’innovation et l’entreprenariat, ainsi que des investissements étrangers dans des initiatives technologiques africaines.
Selon le rapport « The State of African Tech » de Partech Ventures, publié en 2021, voici quelques chiffres sur l’état actuel des hubs technologiques en Afrique :
-En 2020, l’Afrique comptait 618 hubs technologiques dans 54 pays différents, dont 73 % se concentrent en Afrique de l’Ouest et Afrique de l’Est.
-Le Nigéria est le pays qui compte le plus de hubs, avec 85 hubs, suivi de l’Afrique du Sud avec 59 hubs, et du Kenya avec 52 hubs.
-Les secteurs les plus représentés dans ces hubs sont les fintech (21 %), les TIC et l’intelligence artificielle (19 %), et les services de logistique (14 %).
-Les investissements dans les startups africaines ont atteint un record en 2020, avec plus de 1,3 milliard de dollars levés, malgré la pandémie de Covid-19.
Enfin, il faut noter que malgré la croissance rapide des hubs technologiques en Afrique, les défis restent nombreux. Les problèmes d’infrastructures, de réglementation et de financement sont encore souvent des obstacles majeurs pour les entrepreneurs et les innovateurs.
Réimaginer les systèmes d’innovation dans les communautés marginalisées
Dans les communautés marginalisées, les structures en place adoptent une systématique d’innovation calquée sur le modèle occidental, notamment, celui des États-Unis.
Ce modèle basé sur la levée de gros capitaux, consiste à rassembler les porteurs de projets pour leur offrir l’accompagnement nécessaire pour transformer leurs idées en opportunités économiques.
Cependant, le modèle américain ne peut pour l’heure pas favoriser l’introduction d’innovations de masse, puisqu’il n’existe pas encore les conditions nécessaires pour le rendre applicable.
En effet, la systémique d’innovation aux États-Unis est caractérisée par un certain nombre de facteurs qui la rendent unique. D’abord l’écosystème d’innovation est dynamique, avec de nombreux acteurs clés, tels que les universités, les entreprises, les centres de recherche, les incubateurs et les accélérateurs, ainsi que les investisseurs.
Ensuite, ils ont une forte culture de financement de l’innovation, avec un certain nombre d’acteurs financiers tels que les capital-risqueurs, les business angels, les banques et les fonds d’investissement spécialisés.
Par ailleurs, il existe déjà un cadre réglementaire favorable à l’innovation, avec des réglementations relativement souples et une forte protection des droits de propriété intellectuelle.
En outre, la culture entrepreneuriale est également forte aux États-Unis, avec une grande importance accordée à la prise de risques et à l’innovation. Cela se reflète dans le nombre élevé de start-ups et de nouvelles entreprises créées chaque année.
Enfin, il existe également une grande tradition de collaboration publique-privée, avec des partenariats entre le gouvernement, les universités et les entreprises pour stimuler l’innovation et la recherche.
Le pays dispose d’ailleurs d’un système de formation solide et diversifié, avec de nombreuses universités et centres de formation professionnelle offrant des programmes dans des domaines innovants tels que la technologie, la science, l’ingénierie et les mathématiques.
| Facteurs d’innovation | Grands nombre d’innovation | Formation et ressources nécessaires pour innover | Cadre réglementaire favorable | Financement disponible pour l’innovation |
| Leviers au États-Unis | Entreprises et institutions | Universités et centres de formation professionnelle | -Réglementations relativement souples -Forte protection des droits de propriété intellectuelle -Collaboration publique-privée | Forte culture de financement de l’innovation. |
Or, aucune de ces conditions n’est réunie dans les territoires à économie dominée. Par exemple, il existe très peu de capitaux et la culture du financement est quasiment inexistante. De plus, dans une économie extrêmement pauvre, les porteurs de projets n’ont pas la liberté de faire des erreurs.
Cela réduit la propension à la prise de risque et à l’innovation qui est déjà limitée par une culture entrepreneuriale très faible. Les modèles classiques qui se basent sur la levée de gros capitaux ne peuvent donc pour l’heure pas favoriser l’introduction d’innovations de masse.
Pour favoriser la naissance d’innovations réussies dans les communautés en voie de développement est donc nécessaire de trouver de nouveaux leviers de développement pour les entreprises innovantes, qui intègrent les réalités locales.
| Facteurs d’innovation | Leviers aux États-Unis | Leviers dans les communautés marginalisées |
| Grands nombre d’innovation | Entreprises et institutions | ? |
| Formation et ressources nécessaires pour innover | Universités et centres de formation professionnelle | ? |
| Cadre réglementaire favorable | -Réglementations relativement souples -Forte protection des droits de propriété intellectuelle -Collaboration publique-privée | ? |
| Financement disponible pour l’innovation | Forte culture de financement de l’innovation | ? |
Ces modèles alternatifs doivent poursuivre trois objectifs précis :
- Augmenter rapidement le nombre d’innovateurs ;
- Offrir la formation, les ressources nécessaires pour innover efficacement ;
- Mettre en place les conditions nécessaires pour développer des innovations qui s’intègrent durablement dans les habitudes de vie des communautés.
Cela demande de sortir des sentiers battus pour imaginer de nouveaux mécanismes de création de valeur.
